Claude Péroy 2019-04-15T23:43:32+02:00

Claude Péroy

Esprit, qui-es-tu ?

« Ma petite madeleine à moi, c’était l’odeur de l’encre violette, la sévère plume sergent major, et
surtout ma préférée, celle qui glissait souple sans bruit sur le papier, dont je ne me rappelle plus le
nom, mais qui traçait à l’envie les pleins de vie et les déliés. Des lettres fraîches qui embaumaient,
des mots en dents de scie qui montaient, franchissant de guingois les parallèles bleues du cahier,
insolentes et libres de fautes, exhalaient; qu’à plein trous de nez, je respirais à me griser. L’odeur,
le parfum de la violette et les pâtés auréolés de rouge indélébiles, m’eurent fait aimer, la fumée des
locomotives à vapeur, l’odeur des fleurs, celle musquée du cuir et des étables, du mir, du savon de
Marseille de chez ma tante Éléonore, l’odeur du pain chaud mêlée au bois de pin, sorti du four,
crépitant de vie dans des paniers d’osier, depuis le fournil de mon père jusque sur les rayons du
magasin. Plus tard, mille fragrances, celles de citrons, d’abricots confits, d’amande amère, de fruits
rouges et noirs, des parfums exotiques des ananas, des grumes d’Afrique, des mangues, bouquets
subtils des vins de Bordeaux, palettes vives de rouges gais et teintes ambrées, larmes et couleurs
profondes, sombres cuvées des années secrètes, les ocres chauds et blonds des liquoreux du
Sauternais, du Barsacais pointant l’acidulé fruitée du botrytis, les blancs secs couleur paille pâle,
aux effluences de pierre à fusils, de fruits piqués de fer blanc et d’iode des Graves et de l’Entre-
deux-mers.